À l’intérieur de n’importe quel texte, l’illustrateur est libre de choisir la phrase, le paragraphe, le mot qu’il illustrera.
Son choix est capital : il est le traducteur et l’interprète.
Il ajoutera aux mots ce que les enfants retiendront le mieux et le plus longtemps : les images.
Dans l’imaginaire et la mémoire des jeunes lecteurs, les personnages du texte auront les traits et le caractère que l’illustrateur leur aura donné, il est maître. Et ses images “enseigneront” aux enfants bien plus de choses que le texte ne dit : chaque détail sera regardé et questionné par eux.
Les enfants n’apprécient ni ne critiquent les images des albums se référant à leur valeur esthétique : les recherches de style, les images sophistiquées amusent les illustrateurs et peut-être quelques éditeurs : les enfants, eux, ne voient dans une image que ce qui s’y passe.
Un exemple de l’énorme pouvoir des illustrateurs et de leur faculté de trouver, dans le texte, la phrase ou l’image qui convient à leur sensibilité ou à leurs idées sur la vie, est donné par trois des plus grands sculpteurs de la Renaissance : Donatello, Verrocchio, Michelangelo).
Il s’agit d’un épisode biblique :
“Au temps du roi Saül, Goliath, un Philistin, proclama : Choisissez-vous un homme, et s’il est assez fort pour me battre, nous serons vos esclaves”.
Le texte dit que David était un très jeune pâtre et le décrit comme le soufre-douleur de sa familleCadet d’une nombreuse fratrie, David est exploité par ses frères et son père.
Donatello (1409) le montre très jeune, presque un enfant.
Il est botté et porte un chapeau rustique.
Ses bras sont faibles (il pose à terre la lourde èpée) et son expression est d’incrédulité : il trouve son exploit étonnant, ce qui confirme l’importance de sa victoire et son caractère en quelque sorte miraculeux.
Le texte dit, un peu plus loin, que David demanda aux uns et aux autres : “Que fera-t-on pour l'homme qui battra ce Philistin”?
Et qu’on lui répondit : “Le roi le fera très riche et il lui donnera sa fille”. David est ambitieux.
C’est ainsi que Verrocchio (1473) le montre : un jeune prince, sûr de lui et confiant, richement habillé (déjà presque un roi), qui proclame son triomphe avec un geste élégant et une expression de défi.
Le texte dit :“David dit au Philistin : tu viens armé d'une épée, d'une lance et d'un javelot ; moi, je viens à toi armé du nom du Seigneur.Ce n'est ni par l'épée, ni par la lance que le Seigneur donne la victoire ”.
Michelangelo (1501) donne à David la beauté d’un homme dans la force de l’âge et le représente nu, tenant une petite pierre.
Il se prépare à abattre son ennemi par la puissance de son esprit et de sa volonté.
Ces trois personnages sont, tous trois, des illustrations fidèles du texte biblique. Le personnage du Roi David jeune a été, pour les foules qui contemplaient et commentaient ces œuvres dans les siècles succéssifs, un enfant impulsif et audacieux, un jeune arriviste, puis un héros à l’absolue pureté morale, signifiée par la complète nudité et la beauté parfaite.
De quoi faire réfléchir les illustrateurs et les éditeurs.